Le deuil au masculin

Comprendre le silence des hommes en deuil

Marie-Suzon Morand, Th.THA, Thérapeute du deuil - Thanatologue

10/10/2025

Homme en deuil
Homme en deuil

95 % de mes clients sont des femmes. Ce n’est pas un hasard, ni une question de préférence : c’est la réalité pour la majorité des thérapeutes et des psychologues. On pourrait croire que les femmes sont plus à l’aise avec leurs émotions, ou qu’elles ont davantage besoin d’aide. Pourtant, les hommes souffrent tout autant, parfois même plus profondément, et sont beaucoup plus à risque de faire des tentatives de suicide, souvent plus létales.

Alors pourquoi ? Où avons-nous échoué, comme société, pour que tant d’hommes vivent leur peine dans le silence ?

On connaît déjà les racines culturelles du problème. On sait que les hommes ont été socialisés à être forts, à ne pas pleurer, à tenir le coup. Et pourtant, malgré des décennies de discours sur la santé mentale, rien ne semble vraiment changer. Le deuil masculin demeure largement invisible, et les hommes continuent de souffrir seuls, derrière une façade de contrôle.

Cet article n’a pas pour but de convaincre qui que ce soit de consulter. Ce serait inutile, puisque la première condition pour qu’une thérapie fonctionne, c’est le consentement. Mais je veux dire ceci, à ceux qui ne franchiront peut-être jamais la porte d’un cabinet : je vous vois. Vous êtes là, quelque part, à essayer de tenir bon. Et si cet article peut vous aider, un peu, à comprendre ce que vous vivez et à trouver vos propres repères, alors il aura servi à quelque chose.

Le poids du silence masculin

Ce que l’on fuit nous suit. Quand la douleur reste enfouie, elle ne disparaît pas : elle s’étire, elle se fige, elle s’installe. Le deuil que l’on refuse d’exprimer se transforme en fatigue, en irritabilité, en vide intérieur.

Extérioriser sa peine, que ce soit en parlant, en écrivant, ou en pleurant, demeure l’outil le plus puissant pour traverser la perte. Mais beaucoup d’hommes n’ont jamais appris comment faire.

Les impacts du deuil vécu seul

Le silence a un prix. Vivre un deuil dans l’isolement peut entraîner des risques accrus d’anxiété, de colère intériorisée, de comportements compulsifs ou de consommation. Certains se réfugient dans le travail, d’autres dans l’alcool, la drogue ou le sport excessif.

Ces stratégies, souvent inconscientes, visent à éviter la douleur. Mais à long terme, elles l’amplifient. L’absence d’expression émotionnelle ne guérit rien : elle repousse simplement l’inévitable.

Des pistes concrètes pour les hommes en deuil

Voici quelques repères simples, loin du jargon psychologique, pour ceux qui veulent apprivoiser leur peine.

1. Donner un espace à ses émotions.
Écrire ou se parler à voix haute peut sembler étrange, mais cela brise l’isolement. Mettre des mots sur ce que l’on ressent, même seul dans une pièce, permet déjà de déposer un peu du poids intérieur.

2. Choisir une personne de confiance.
Il n’est pas nécessaire de tout raconter à tout le monde. Une seule personne qui écoute vraiment, un ami, un collègue, un membre de la famille, ou quelqu’un qui a déjà vécu une perte, peut faire une immense différence.

3. Utiliser le corps comme exutoire.
Les hommes ont souvent besoin d’agir pour libérer ce qui bouillonne à l’intérieur. La marche, la mécanique, la course, le plein air ou le bricolage peuvent devenir des moyens d’expression. L’important n’est pas la performance, mais le mouvement.

4. Créer un rituel personnel.
Allumer une chandelle, visiter un lieu significatif, écouter une chanson, parler à la personne décédée… Ces gestes simples donnent un cadre à la douleur. Ils créent un espace symbolique où la peine peut se dire autrement.

5. Éviter la fuite par la suractivité.
Travailler sans arrêt ou s’occuper constamment peut sembler soulageant, mais c’est souvent une manière d’éviter la tristesse. Prendre dix minutes par jour pour « laisser venir » ce qu’on ressent est déjà un acte de courage.

Comment les proches peuvent soutenir un homme endeuillé

Soutenir un homme en deuil, ce n’est pas le convaincre de parler : c’est lui laisser la possibilité de le faire. Respecter son rythme. Ouvrir la porte sans la forcer. Un simple « Je suis là si tu veux en parler » suffit parfois.

Encourager les activités physiques ou symboliques peut aussi aider : aller marcher ensemble, jardiner, réparer quelque chose. Ce sont souvent dans ces moments simples que les mots finissent par sortir, sans pression.

Soutenir sans envahir, rester présent sans juger : voilà la clé.

Quand (et pourquoi) consulter peut aider

Consulter n’est pas un aveu de faiblesse. C’est un acte de lucidité.
Souvent, quelques rencontres suffisent pour alléger un fardeau porté depuis trop longtemps.

Parce que parfois, le seul remède est d’être vu et entendu pour la première fois.

Mais la décision doit venir de lui. Une thérapie imposée ne fonctionne pas. Elle doit naître d’un besoin intérieur, pas d’une injonction.

Conclusion

Beaucoup d’hommes vivent leur deuil en silence.
Ils avancent sans bruit, sans plainte, croyant qu’ils doivent tenir pour les autres.

À ceux-là, je veux dire : vous n’êtes pas invisibles.
Vous avez droit, vous aussi, à du soutien, même si vous ne franchissez pas la porte d’un bureau.

Le deuil n’a pas besoin d’être porté seul.